Avec un art consommé de tisser les pièges et au moyen d’autres énigmes, Velàzquez nous entraîne dans la théâtralité baroque de l’illusion pour restituer une allégorie de l’art dans tous ses procès, au travers de toutes ses étapes, comme un véritable « discours de la méthode » du peintre, constituant l’apologie de sa discipline en tant qu’art libéral de premier rang.

INTRODUCTION

Velàzquez réalisa dans les dernières années de sa vie le tableau Les Fileuses,oula Légende d’Arachné, conservé à Madrid, au musée du Prado,quisuit de très près les Menines et reste un des tableaux les plus ambitieux de l’artiste et certainement un des plus complexes à analyser.

Ce tableau fut décrit en 1872 comme une « représentation de la manufacture royale des tapisseries de Santa Isabel de Madrid », titre qui lui restera attaché pendant un siècle.

COMPOSITION

C’est une huile sur toile de grand format : 252 cm x 167, réalisée vers 1657, qui montre des fileuses au travail dans une pièce nue où la lumière fait jaillir une gamme magique de couleurs complexes.

Au premier plan à gauche, une femme s’active au rouet ; à droite, une jeune femme assise travaille au dévidoir. Trois autres ouvrières apportent la laine et rassemblent les pelotes.

Deux univers sont mis en correspondance par une association structurée rigoureuse : chaque figure de fileuse au travail répond à une figure en représentation de l’univers divin, royal ou artistique.

A l’arrière-plan, dans une pièce surélevée baignée de lumière où l’on accède par des marches, trois femmes élégantes observent une silhouette casquée, à gauche, devant qui se tient une jeune femme (?). Se référant au second titre : la Légende d’Arachné, la silhouette casquée serait Athéna et la jeune femme serait Arachné qui osa se vanter de filer mieux que la déesse. La tapisserie représente l’enlèvement d’Europe et rappelle un très célèbre tableau de Titien à qui Velàzquez rend ainsi hommage. Mais ce n’est pas la seule référence à un grand maître : attitudes et mouvements contrariés induisent de fortes émotions (affetti), en rappel des Ignudi de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine.

DESCRIPTION & INTERPRÉTATION

La composition évoque le théâtre : scène surélevée, très éclairée, richesse des costumes et des décors, présence sur scène de spectatrices (dont une dirige le regard vers le spectateur), violoncelle et  rideau de théâtre du premier plan.

Le premier plan est occupé par cinq jeunes femmes. Agenouillée au centre, l’une d’elles a le visage noyé dans la pénombre. Le spectateur est invité à accéder au second plan par deux gradins qui donnent accès sur une grande pièce. A  gauche, le flot de lumière vive dessine les contours et révèle les détails.

Deux silhouettes féminines tournent le dos. La troisième est le seul sujet de la scène à fixer le spectateur, son regard en fait une complice. Devant la tapisserie tendue sur le mur du fond, le troisième plan, révèle l’intrigue et constitue le lien qui unit les scènes ! Deux femmes, vêtues à l’antique, l’une casquée, le bras levé, semblent s’affronter dans une sorte de défi.

Il s’agit bien du défi lancé par Arachné la mortelle, tisseuse libyenne de grand talent, et Athéna, la déesse. La victoire de sa rivale rend folle de rage Athéna qui la métamorphose en araignée condamnée à rester pendue et à filer toute sa vie. Les documents retrouvés dans la correspondance de Velàzquez établissent formellement les références mythologiques.

 

Au premier plan, un magistral « arrêt sur image » saisit la dextérité,  l’instantanéité et la rapidité des gestes précis des cinq femmes qui ne nous regardent pas, absorbées par leur tâche.

La virtuosité du toucher de pinceau de l’artiste propose un extraordinaire rendu de l’ampleur du geste vif de la jeune femme, de dos, devant le dévidoir, à droite.

A gauche, par une géniale technique du traitement de la « disparition » des rayons du rouet, le peintre restitue à la perfection l’illusion de la vitesse de rotation du mécanisme. La fileuse assise tire sur le brin de la quenouille provenant de l’étoupe de laine posée sur la planche au-dessous du rouet.

Elle lève la tête et, penchée en arrière, sans arrêter son action, semble entretenir une discussion animée avec l’une de ses congénères écartant le rideau.

Un gros chat assoupi au milieu des brins de laine semble bercé par le bruit du rouet. Symbole de la quiétude « vigilante » et de la sérénité, les chats, selon H. Cammas et A. Lefèvre (Thèbes-Karnak, la vallée du Nil) sont « la vivante représentation des dieux pénates et lares ; ils ressemblent aux dieux car ils aiment les caresses et n’en rendent pas… »

A droite, le dos baignée de lumière, une ouvrière attire le regard par la grâce de sa pose et l’ampleur du geste. L’autre, en retrait, porte le panier destiné à recueillir les pelotes constituées.

ENIGMES POSÉES

Le châtiment de la fileuse vaincue, transformée en araignée, n’est pas relaté par l’artiste. Parmi toutes les questions que l’observateur pourrait se poser, quatre d’entre-elles paraissent fondamentales et donnent forme aux énigmes.

1 – Dans la pièce du fond, éclairée par une vive lumière, la jeune Arachné, se tient-elle devant la tapisserie ou bien est-elle un motif de celle-ci comme semble le révéler un examen minutieux ? Par ailleurs, son attitude humble, presque implorante, résulte-t-elle du geste menaçant d’Athéna produisant une projection théâtrale vers l’avant, de nature à créer un plan intermédiaire désolidarisant le groupe de la tapisserie du fond ?

2 – La mise en page complexe, présentant deux niveaux de la société (les dames nobles en vêtements de cour, d’une part, et les femmes du peuple à la mise simple, au premier plan), a-t-elle pour finalité d’exposer essentiellement une hiérarchie sociale ?

Ou s’agit-il d’une transposition hardie et moderniste de la représentation du panel de spectateurs censés départager les protagonistes du défi ?

3 - L’analyse de l’œuvre, de l’arrière vers l’avant, établit-elle le lien de lecture subtil entre l’arrière-plan, le second plan et le premier plan ?

4 - Comment la réalité du quotidien, décrite au premier, plan intègre-t elle le cadre de l’interprétation mythologique ?

Dans une mise en abyme de sa peinture, le peintre aurait présenté l’œuvre comme un double tableau établissant le lien entre la scène qu’il décrit et son anoblissement tant attendu. Le premier plan fait l’apologie de l’énergie et des capacités développées par Velàzquez dans sa charge de maréchal du palais, à la direction de la manufacture royale, le second évoquant la récompense attendue par la condition espérée (l’anoblissement), le tout devant une allégorie de l’art du tissage représentée à l’arrière-plan.

Une des nombreuses gravures d’Antonio Tempesta, illustrant les Métamorphoses semble établir ce lien de lecture depuis l’arrière-plan vers l’avant de l’action. Elle représente Athéna et Arachné dans une troublante proximité avec l’arrière-plan des Fileuses, mais symétriquement inversée par le processus de la gravure, formant un angle analytique de nature à établir une solide cohérence entre les plans du tableau (d’après les études iconologiques de Aby Warburg, historien de l’Art -1866-1929).

Cette lecture resta longtemps dissimulée, à cause de l’inversion de l’image. L’hypothèse d’un plan intermédiaire se fait jour et s’affirme en plaçant les deux figures mythologiques d’Athéna et Arachné devant la tapisserie (et non dedans). Arachné n’est donc pas un motif de celle-ci et cette théorie introduit la réponse à la quatrième question.

 

L’interprétation faite par l’historien de l’Art Angulo Iniguez (1901-1986)  conduit à considérer la scène comme le conflit entre Athéna et Arachné par l’hypothèse cohérente d’une double narration située à deux moments du récit d’Ovide :

- le concours entre les deux tisseuses au premier plan,

- la défaite et la déchéance d’Arachné à l’arrière-plan !

Velàzquez a transféré la scène mythologique dans la réalité du quotidien et la vieille femme du premier plan serait Athéna déguisée (le galbe juvénile de la jambe découverte semblent l’attester).

Arachné serait alors la merveilleuse jeune femme aux pieds nus, à la nuque baignée de lumière...De fait, avec Iniguez, l’œuvre a prit son titre moderne Les Fileuses, ou la Légende d’Arachné (Las Hilanderas o La Fabula de Aracne).

En 1947, il mit en évidence le parallèle flagrant (resté longtemps non décelé), entre les attitudes des deux protagonistes du premier plan et les poses contrastées de deux Ignudi de Michel-Ange. La similitude de construction des attitudes de chacun des protagonistes représente l’hommage rendu par Velàzquez au maître des « affetti ».Enfin, en 1948, il identifia la scène reproduite sur la tapisserie du mur du fond comme l’Enlèvement d’Europe de Titien, après avoir eu accès aux documents de la bibliothèque du peintre et fait le rapprochement avec la copie de Rubens conservée au Prado.

CONCLUSION

Cette œuvre peut être vue comme une allégorie de l’art dans tous ses procès, au travers de toutes ses étapes, véritable « discours de la méthode » du peintre, constituant l’apologie de sa discipline en tant qu’art libéral de premier rang.

En 1994, on découvrait dans le couvent de San Placido, à Madrid, une sépulture contenant deux corps : une femme et un chevalier.

Ce dernier portait un pourpoint sombre orné d’une croix de l’Ordre de Santiago sur

la poitrine et une collerette de dentelle blanche en forme de fraise !

Avec cette découverte une autre énigme a pris forme car nous ne savons toujours pas si maintenant Velàzquez repose en paix au côté de son épouse Juana

Mais ses tableaux demeurent !

 

Biographie de Velàzquez et bibliographie cf conférence du 7 décembre 2016 « Les Menines »


 

LES MENINES

« Radioscopie de l’oeuvre de Diego Velàzquez »
Par Gérard Saccoccini
 
Les pièges de la perspective stricte ou la fascination du miroir
Le tableau « Les Menines », conservé à Madrid, au musée du Prado,
constitue l’oeuvre la plus énigmatique de l’histoire de l’art,
pour laquelle d’innombrables interprétations ont été proposées.
Mercredi 7 Décembre 2016

Diego Velàzquez (Diego Rodriguez da Silva y Velàzquez 1599-1660) naquit à Séville le 6 juin 1599. Il fréquenta l'atelier de Herrera le Vieux puis, en 1611, celui de Francisco Pacheco dont il épousa la fille.

L’artiste a dominé tous les genres picturaux pratiqués en Europe au cours de l’Age d’Or espagnol : peinture religieuse et historique, scènes mythologiques, natures mortes et paysages, nus, art du portrait (portraits de cour et portraits du petit peuple sévillan). Son œuvre, inspirée des modèles flamands et italiens, fait preuve d’un sens exceptionnel de la réalité dans le traitement de l’expression, de la lumière ou de la mise en scène, qui provoquera, en particulier, l’admiration sans borne des Impressionnistes, et en particulier de Manet. Homme cultivé, il sut mener une brillante carrière de courtisan qui le conduisit aux plus hautes charges de la cour madrilène. Elle lui permit surtout de faire, pendant plus de trente ans, le portrait du roi Philippe IV, souverain confronté au déclin inéluctable d’un royaume qui avait été le plus puissant du monde. Il fut nommé peintre officiel de Philippe IV en octobre 1626.

Le voyage italien.

En 1628, il rencontre Rubens, venu à Madrid en mission diplomatique, qui le décide à entreprendre le voyage en Italie. Il visite Milan, Venise, Florence, Rome, puis  Naples, d’où il rembarqua pour l’Espagne en janvier 1631, habité d’un intérêt tout particulier pour l'art de la Renaissance.

Peintre du roi et courtisan

A Madrid, Velázquez reprend sa place de portraitiste à la cour et devient, en 1633, et obtient en 1652 la plus haute charge : aposentador mayor de palacio  (grand maréchal du palais). Ces dignités l’intègrent au cercle des courtisans cultivés et expliquent en partie le nombre réduit de ses œuvres.

En 1634, il décora le « salon des royaumes » au nouveau palais du Buen Retiro, de douze scènes de batailles et plusieurs portraits équestres royaux. Entre 1649 et 1651, le roi l’envoie en Italie, afin d'acheter des oeuvres destinées à ses collections.

La maîtrise de la lumière, une science élaborée de l'espace, ainsi que le réalisme saisissant des personnages témoignent de la maturité de l'art de Velàzquez et de son génie. Jusqu'à sa mort, il consacrera une grande partie de son temps aux devoirs que lui impose sa fonction de maréchal du palais, récemment attribuée par Philippe IV dont il demeurera toujours un ami fidèle. Il meurt le 6 août 1660.

LES MENINES – COMPOSITION

C’est au cours des dernières années de sa vie, après trente-trois années au service du souverain, que Velàzquez réalisa le tableau Les Menines,oula Famille de Philippe IV, conservé à Madrid, au musée du Prado,quiconstitue l’œuvre la plus énigmatique de l’histoire de l’art, pour laquelle d’innombrables interprétations ont été proposées.

Il s’agit d’une huile sur toile de très grand format : 318 cm x 276, réalisé en 1656qui représente, au centre, l’infante Marguerite-Thérèse entourée de sa suite, dans une pièce de l’Alcazar où Velàzquez eut la possibilité d’installer son atelier.

La jeune infante apparaît entourée de ses demoiselles d’honneur (ménines), d’un chaperon, d’un garde du corps, d’une naine, d’un bouffon italien et d’un mâtin. Velàzquez s’y représente lui-même peignant, le regard fixé sur un hypothétique observateur.

A l’arrière, un miroir réfléchit l’image du roi et de la reine posant pour le peintre et, de ce fait, semble les placer hors de la peinture, à l’endroit où se trouverait l’observateur.

Au fond, le maréchal du palais attaché au service de la reine apparaît en contre-jour.

La toile est reconnue comme l’une des plus importantes de la peinture occidentale .

MISE EN PAGE

L’œuvre est divisée en 4 quarts et 7 plans. 9 personnages sont représentés (11 si l’on inclut la réflexion du miroir). Les sept divisions de profondeur sont disposées à intervalles réguliers : sur la première, figurent la toile et le chevalet, le mâtin et le bouffon Pertusato ; sur la deuxième, prennent place l’Infante, les ménines et la naine ; sur la troisième, le peintre, la religieuse et le gardadamas ; la quatrième, le mur, les tableaux accrochés et le cadre du miroir ; sur la cinquième, se tient l’aposentador Nieto ; la sixième, derrière Nieto et la septième, dans le miroir.

 

Vêtue d’une élégante et précieuse robe à vertugadin, ornée d’une rosette rouge et rehaussée de fines  dentelles noires, l’Infante Marguerite-Thérèse n’a que cinq ans au moment de la réalisation de la toile. Elle est l’un des trois points focaux du tableau, les deux autres étant l’autoportrait de Velàzquez et l’image du couple royal dans le miroir. Par la maîtrise précise du jeu d’ombre et de lumière qui apporte aux formes précision et contenu, le peintre induit tout le succès de la composition qui semble s’articuler autour du personnage central de l’Infante,mis en évidence grâce aux poses de ses dames de compagnies.

Agenouillée aux pieds de l’Infante, comme l’exige l’étiquette, dona Maria Agustina Sarmiento de Sotomayor, la demoiselle d’honneur (ménine* de la reine) lui offre de l’eau dans un bocaro, gobelet de terre rouge posé sur un plateau en or, contenant de l’eau parfumée et accompagnant sans doute des gaufres ou des biscuits.

L’autre demoiselle d’honneur, dona Isabel de Velasco, prépare sa révérence derrière l’infante.

*Menina : mot portugais apparenté au français mignot, mignon (ne), désignant les jeunes filles, les suivantes, attachées au service d’une dame de haut rang.

Au premier plan deux nains : Maria Bàrbola, une allemande achondroplasique, et le bouffon italien Nicolas Pertusato, poussant du pied le mâtin espagnol couché. Les nains apparaissaient souvent dans les portraits de cour pour faire valoir, par leurs difformités, le physique avantageux des sujets représentés.     

A l’arrière plan, dans la pénombre, on perçoit la silhouette d’un guardadamas (écuyer) conversant avec le chaperon des demoiselles d’honneur, une religieuse portant le voile.

Dans l’embrasure de la porte éclairée, se tient le majordomeattaché au service de la reine,  attendant les ordres. La vive clarté révèle l’espace derrière lui, attirant irrésistiblement le regard vers l’infini révélé par l’ouverture. Appel impérieux, ou invitation pour les acteurs de droite à s’abstraire de l’œuvre ?

A gauche, un tableau brille plus que les autres : un miroir entouré d’un cadre sombre dans lequel apparaissent le roi et la reine.Le peintre, tenant palette et pinceaux se dresse, fixant le spectateur devant une toile immense dont on ne voit que le dos du châssis. Velàzquez porte sur la poitrine une croix rouge de l’ordre de Santiago qu’il ne recevra en fait que deux ans après l’achèvement du tableau, en 1659.

ENIGMES POSEES

Moment précis du travail pictural : c’est l’instant où le peintre prend du recul pour évaluer le sujet. Pinceau en arrêt, il porte son regard en avant, hors champ, vers l’endroit même où nous nous trouvons !

En suggérant à notre place, celle occupée par un invisible et improbable modèle il nous place dans le contrechamp de son regard et nous donne l’illusion d’être le sujet du tableau.

Mais en fait, est-il réellement en train de nous peindre ? Pourquoi les regards des protagonistes convergent-ils vers nous et, en finalité, qu’est-ce qui est réellement peint sur l’avers caché de la toile ?

Le jeu subtil des perspectives et des regards croisés accroît la confusion qui s’installe dès lors que le portrait de la famille royale, se présente peu à peu comme un envahissant autoportrait du peintre.

L’œuvre montre donc un tableau en cours de réalisation, selon une présentation appelée mise en abyme de la peinture, destinée à nous faire réfléchir sur les liens unissant les personnes présentes dans la pièce et à nous interroger sur qui détient le pouvoir : le couple royal ou le peintre ?

Enigmes posées et questions fondamentales :

1 - que peint Velàzquez sur la toile que le spectateur ne peut voir ?

2 - Où se tient-il pour peindre à la fois la scène et lui-même ?

3 - Où se trouvent le roi et la reine, dans la salle, pour apparaître ainsi dans le miroir ?

Peut-être Velàzquez peint-il le couple royal pour un capricho (tableau privé) car l’étiquette stricte interdit de représenter les souverains ensemble sur un portrait public. Pendant la pose, ils occupent la place de l’observateur, face au peintre, et leur image se reflète dans le miroir du fond. Une moitié du double miroir aura alors pour fonction de renvoyer l’image en pied de l’Infante, que le peintre place avec ses géniteurs sur la toile qui s’appellera « La Famille » jusqu’au 19ème siècle, l’autre moitié, le fond de la pièce atelier avec le petit miroir (comme un cadre au mur), reflétant les portraits royaux. Pour distraire la petite fille, afin qu’elle garde la pose, tout une mise en scène implique des personnages : les ménines, la naine, le bouffon et le mâtin qui, clairement, n’apparaîtront pas sur le tableau terminé.

Le génie de Velàzquez consiste à rendre visible, dans un miroir peint, un motif deux fois invisible ! Car il est invisible sur la toile retournée, mais invisible aussi hors du tableau, puisque occupant la place du spectateur, dans le champ visuel du peintre. Le tableau est la vision de la scène qu’ont les souverains en train de poser, occupant la place du spectateur.

CONCLUSION

Un des plus grands peintres de l’histoire de l’art mourut le 6 août 1660. Son épouse Juana ne lui survécut qu’une semaine et fut enterrée à son côté. Il fut exposé sur un lit de parade à l’Alcazar, revêtu du manteau de l’Ordre de Santiago. Une légende tenace rapporte que le roi aurait fait apporter les Ménines à son chevet et aurait peint lui-même la Croix de l’Ordre sur le pourpoint de l’artiste. Légende sans doute…                  

La nuit suivante il fut inhumé dans l’église San Juan Bautista où fut célébré un service solennel en présence de nombreux aristocrates et de dignitaires royaux. Il ne reste rien aujourd’hui de l’église Saint Jean-Baptiste et de la tombe de Velàzquez.

Seuls ses tableaux demeurent et continuent de poser l’éternelle question du lien de l’art et de la vie : « l’art et la vie ne sont-ils qu’illusion » ?

Bibliographie  –

Daniel Arasse, On n’y voit rien, descriptions, Paris, Denoël, octobre 2000.

Philippe Comar, « Les Ménines-lecture de l’art », Opus International, n°83, 1982.

Kenneth Clark, Looking at pictures, New York, Holt Rinehart and Winston, 1960

Michel Foucault, Les mots et les choses – une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966

Xavier d’Hérouville, Les Ménines ou l’art conceptuel de Diego Velàzquez, Paris, l’Harmattan, 2015

Alain Hugon, Philippe IV : Le Siècle de Velàzquez, Biographie Payot, Editions Payot et Rivages, Paris, 2014


 

Les Orchidées sauvages, un patrimoine méconnu

Par Thierry Ménard

Botaniste, professeur agrégé de Sciences de la nature

"Les orchidées représentent un groupe d’espèces dont le nom évoque l’exotisme et la flore du bout du monde. Notre région compte de nombreux représentants de cette mystérieuse famille. Plantes à l’anatomie florale complexe, les orchidées sont incontestablement parmi les plus beaux végétaux du monde, même si nos orchidées indigènes n’ont pas la taille de leurs lointaines cousines tropicales. C’est une découverte, ou une redécouverte, du monde végétal à part des orchidées de notre région, souvent si mal connues. »

Mercredi 30 novembre 2016

 Du grec 𝝄𝝆𝝃𝜾𝝇 signifiant testicule, les Orchidées forment un groupe d’espèces de plantes à fleurs très original. Représentées par 25000 espèces dans le monde dont 160 en France, elles proposent un éventail de formes, de tailles, de couleurs ou d’écologie si varié qu’elles ne laissent aucun amateur de plantes indifférent. Ce sont des monocotylédones à part entière avec une formule florale classique à 3 pétales et 3 sépales à la différence que chez les Orchidées, un des pétales (le supérieur) est transformé et prend une forme, une taille ou une coloration bien différentes des deux autres pétales : c’est le labelle

si particulier à cette famille. Du fait d’une torsion à 90° quasi systématique de l’ovaire inférieur, ce labelle se retrouve en position inférieure servant à la fois d’appareil vexillaire pour attirer les insectes, de piste d’atterrissage ou de leurre visuel en se confondant avec le corps d’un insecte femelle.

 

La coopération entre insectes et orchidées pour la pollinisation croisée prend souvent chez les Orchidées des allures de stratégie élaborée et infiniment complexe. Chez les Ophrys, groupe très diversifiée et probablement en évolution permanente, l’adaptation entre insecte et fleur s’est faite progressivement (coévolution), et presqu’à chaque fois, à une espèce d’orchidée correspond une espèce particulière d’insecte pollinisateur. Chez ce groupe fascinant d’orchidées, la pollinisation oblige la plante à leurrer l’insecte successivement de façon olfactive en émettant une phéromone proche de celle de l’hyménoptère femelle, de façon visuelle, le labelle ressemblant à s’y méprendre à l’abdomen d’un insecte, et de façon tactile, le labelle étant recouvert d’une fine pilosité drue comme l’abdomen précité.

 

La région PACA, extrêmement riche et diversifiée en espèces d’orchidées sauvages, offre près des 4/5 des taxons français. Du bord de mer à la haute montagne, des prairies sèches aux marécages ou aux forêts sombres, le panel d’espèces de notre région est le plus important de France.

 

Nous pouvons citer quelques espèces emblématiques qui se retrouvent dans notre région, par exemple, le magnifique sabot de Vénus (Cypripedium calceolus) au labelle transformé en chausson, objet des convoitises des amateurs de bouquet probablement responsable de la raréfaction dramatique de cet extraordinaire taxon. L’orchis nain des Alpes (Chamorchis alpina) est une rare espèce des bords de lacs et de prairies détrempées de haute montagne. C’est la plus petite espèce d’orchidée d’Europe (5 à 8cm). La goodyère rampante (Goodyera repens), orchidée discrète des sous-bois de résineux moussus des montagnes, a des fleurs complètement recouverte de petits poils dressés. Les spiranthes (genre Spiranthes) ont des fleurs disposées en spirale sur la tige florale. Le célèbre orchis vanille (Gymnadenia nigra) témoigne de la diversité de parfums qu’on peut rencontrer chez les Orchidées sauvages : vanille, lilas, rose, ou encore bouc chez l’étrange orchis bouc (Himantoglossum hircinum) des plateaux calcaires des premiers contreforts du Verdon. Citons aussi le rare et protégé orchis à long éperon (Anacamptis longicornu), encore inconnu de notre région il y a cinq ans et qui est apparu dans le Var il y a peu. Chez les Orchis, le labelle prend souvent des allures de petit bonhomme pendu comme chez l’orchis « homme-pendu » (Orchis anthropophora), ou l’orchis singe (Orchis simia). Les céphalanthères par leurs fleurs magnifiques n’ont rien à envier aux espèces vendues chez les fleuristes à l’image de la céphalanthère à grandes fleurs (Cephalanthera damasonium). Les Epipactis, plus discrètes offrent de nombreuses espèces spectaculaires telle que l’épipactis à petites feuilles (Epipactis microphylla) dont les fleurs deviennent odorantes à partir du soir. Le sérapias négligé (Serapias neglecta) est un remarquable exemple d’espèce tellement qu’elle fut oubliée des botanistes et redécouverte plus tard à l’image également de l’ophrys de Philippe (Ophrys philippi) redécouvert par P.M. Blais en 2000 alors qu’il fut ignoré et oublié des botanistes pendant plus d’un siècle ! Le genre Ophrys, d’ailleurs, extrêmement diversifié montre de remarquables espèces parfois rarissimes, par exemple, l’ophrys miroir (Ophrys speculum) connu en PACA seulement de la région de Hyères dans le Var et de Valbonne dans les Alpes maritimes. La région n’abritant pas l’insecte pollinisateur, l’orchidée ne peut pas se reproduire et est amenée à disparaître. Sa présence dans la région n’est due qu’à un transport de graines providentiel par les oiseaux et une germination improbable.


 

LES MAÎTRES DE SAGESSE

 

« Qu’appelle-t-on Maîtres de Sagesse, quels pouvoirs ont-ils ? »

Par Olivier DANÈS

Traducteur de Benjamin CREME

Présentation de l’ésotérisme en général et des Maîtres de Sagesse en particulier.

 

Dans cette conférence aux frontières de la spiritualité, des religions ancestrales,

il sera question des hommes qui de tout temps se sont dédiés dans l'ombre

à la quête de vérités essentielles et transcendantes.

Mercredi 26 octobre 2016


 

 

LA VUE DE DELFT

 Radioscopie du célèbre tableau de Johannes Vermeer

Le « petit pan de mur jaune » selon Marcel Proust

Par Gérard Saccoccini

Conférencier en Histoire de l’Art

La radioscopie et l’analyse sensible de ce célèbre tableau de l’Age d’Or hollandais (Mauritshuis de La Haye) révèlent les étranges corrélations du verbe et de la couleur qui subjuguèrent Marcel Proust.

Emerveillé par le détail du « petit pan de mur jaune », il en exprima la musicalité dans son œuvre : « A la recherche du temps perdu ».

Mercredi 19 octobre 2016

     

 Au sud des Pays-Bas, entre la quiétude « administrative » de La Haye (Den Haag) et l’agitation fébrile du grand port de commerce de Rotterdam, se situe la petite ville tranquille de Delft. Vermeer y vient au monde en 1632, il y meurt en 1675, à seulement 43 ans. Comme beaucoup de peintres de son époque, Vermeer exerce une deuxième activité et poursuit le négoce de tableaux légué par son père. La solide réputation acquise par l’exercice de son art lui permettra, en 1662, d’être élu dans sa ville « syndic de la Guilde de Saint-Luc », regroupant les artistes locaux. Ses commanditaires sont des notables du lieu et sa renommée ne dépassa pas de son vivant le cadre de sa province.

Marcel Proust, par l’appréciation élogieuse qu’il fit de ce paysage urbain, a beaucoup contribué à le rendre célèbre en France.

Il correspond à la tradition italienne des vedute, genre anticipant la carte postale, qui fut popularisée au 18ème siècle par les vénitiens Canaletto, Guardi et Bellotto auprès de riches aristocrates Anglais effectuant le « Grand Tour ».

Subjugué, après avoir découvert la Vue de Delft à l’exposition hollandaise de 1921, au musée du Jeu de Paume, Proust avait déclaré avoir vu « le plus beau tableau du monde », quintessence de la peinture hollandaise. « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleurs, reprendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. »

Vermeer fut l’un des plus grands peintres de son temps. Sa peinture marqua souvent son absence d’intérêt pour les « grandes choses », ce qui reste l’un des plus intimes secret de sa poésie révélant son amour profond pour des vérités simples, loin de toute rhétorique, uniquement fondées sur l’harmonie de la couleur et la transparence enchantée de la lumière.

Autant Rembrandt avait donné richesse et profondeur à la pénombre, autant Vermeer perçut le miracle qu’une lumière légère et diffuse accomplit sur les choses, révélant les propriétés cachées de la couleur.

Sa disparition signa la fin de l’Age d’Or.

 

Marcel Proust. La Prisonnière (A la recherche du temps perdu, édition de La Pléiade, 1988, tome III, p. 692)

Dans l’œuvre de Proust, Bergotte est un écrivain imaginaire que le narrateur (le double littéraire de Proust) a beaucoup admiré dans sa jeunesse. Celui-ci raconte ainsi la mort de Bergotte.

"Il mourut dans les circonstances suivantes : une crise d'urémie assez légère était cause qu'on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la Vue de Delft de Ver Meer ( prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu'il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu'il ne se rappelait pas) était si bien peint qu'il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d'art chinoise, d'une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l'exposition. Dès les premières marches qu'il eut à gravir, il fut pris d'étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l'impression de la sécheresse et de l'inutilité d'un art si factice, et qui ne valait pas les courants d'air et de soleil d'un palazzo de Venise, ou d'une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Ver Meer qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleurs, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l'un des plateaux, sa propre vie, tandis que l'autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu'il avait imprudemment donné la première pour le second.  « Je ne voudrais pourtant pas, se dit-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. » Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » Cependant, il s’abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l’optimisme, se dit : « C’est une simple indigestion que m’ont donnée ces pommes de terre par assez cuites, ce n’est rien. » Un nouveau coup l’abattit, il roula du canapé par terre où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort."


 

 

 

L’AGE D’OR DE LA PEINTURE ESPAGNOLE

Présentation de la conférence du 5 octobre 2016

Par Gérard Saccoccini

 

L’Espagne de la fin du 15ème s., historiquement implantée en Italie, vit éclore les premières manifestations de la Renaissance.

Avec la référence à Titien, le règne de Charles-Quint fut celui de la grandeur, alors que la fin du règne de Philippe II (1556-1598) marquait le début de la lente récession causée par la baisse des revenus du Nouveau monde, plusieurs épidémies de peste, une infrastructure économique désastreuse et la perte progressive des Pays-Bas en constante rébellion.

 

Engagé dans les ruineuses guerres européennes, Philippe IV (1621-1665) parviendra néanmoins à donner une exceptionnelle ampleur à l’art de cour grâce au génie de Velàzquez. L’Eglise et la Monarchie furent quasiment les seuls promoteurs de l’activité culturelle de cette période. Les grandes collections de peintures flamandes et italiennes, réunies par les aristocrates en poste dans les possession espagnoles, contribuèrent largement à pourvoir la société de scènes mythologiques, de scènes de genre et de peintures d’histoire, bien que le roi et l’élite ne commanditaient que des oeuvres religieuses et quelques portraits aux peintres Espagnols.

 

Le style très personnel du Greco, l’héritage du chantier de l’Escorial et les premières influences de l’œuvre de Caravage, au dur réalisme et aux violents contrastes de lumière et d’ombre, initièrent le courant artistique de la première génération du siècle, souvent désigné par le vocable de « PREMIER NATURALISME ». Zurbarán y mit son réalisme rustique au service des grands cycles iconographiques monastiques.

L’art baroque espagnol fut avant tout celui de l’Eglise post tridentine omniprésente et toute-puissante, avec ses clercs, ses moines, ses ordres nouveaux, ses couvents, ses confréries, sa liturgie et ses dévotions, ses processions, ses fêtes et ses forces de répression (l’Inquisition).

 

Le règne de Charles II (1665-1700) clôturait par un désastre économique le SIECLE D’OR ESPAGNOL. Siècle pathétique qui coïncidait avec une époque artistique très brillante dans laquelle la position dominante de l’Eglise vit décliner le mécénat d’Etat.

A la spiritualité expansive et sentimentale d’une Espagne désormais urbaine devait s’agréger la sensibilité de Murillo qui en fixa avec vivacité les aspects picaresques.

La véritable reprise ne s’effectuera qu’après l’accession des Bourbons au trône, et c’est par le réveil progressif de l’activité économique qu’un dynamisme nouveau animera les disciplines de l’art.

 

 

Le mangeur de melon et de raisin Murillo Madrid Prado 1650

Le marchand d'eau de Séville Velàzquez Londres Wellington Mus. Hst 1620

Le miracle du puits Alonso Cano Madrid Prado 1640/50

Saint François en prière Zurbaran Londres Nat.Gallery 1635-1640

Saint Sérapion Zurbaran Hartford (EU) 1628

Deux femmes à la fenètre Murillo Washington Nat.Gallery of Art 1665

La Maison de Nazareth Zurbaran Cleveland Mus of Arts 1630

La reddition de Breda Velàsquez Madrid Prado 1634-35

La Sainte Famille au petit oiseau Murillo Madrid Prado 1650