- Il y a de la myrrhe, c'est le parfum le plus subtil de l'Arabie ...
- Que tu es heureux, toi l'Aveugle, tu sens les odeurs qui arrivent pas jusqu'à nous ... Et le troisième, il a une barbe qui descend jusqu'aux pieds et il est obligé de rester courbé pour pouvoir tenir dans le cabanon. Il s'appelle Gaspard. Il ressemble à mon grand-père. Il tient dans les mains une grosse malle de cuir. Ce qu'il y a dedans , tu le sais peut-être?
- Des pièces d'or. Je les entends glisser l'une sur l'autre comme des gouttes d'eau d'une rivière.
- Tu avais raison. C'est bien de l'or. Que tu es heureux , toi, l'Aveugle, tu entends des bruits qui viennent pas jusqu'à nous.
Et voilà, c'est bientôt fini. Chacun a pris la pose, comme chez le photographe, mais c'est pour l'éternité. La Sainte Vierge et Saint Joseph qui regardent dormir le Petit Jésus et qui l'adorent . Ils ont la tête penchée sur l'épaule, les mains jointes, et ça durera jusqu'à la fin du monde. Le Ravi, les bras en l'air. L'aveugle, appuyé sur sa canne. Pistachié, appuyé sur son fusil, la Poissonnière, un panier de poisson de chaque côté de ses hanches énormes, et le Berger avec son agneau qui dort autour de son cou et son chien qui dort entre ses jambes. Et le Boumian qui a mit amicalement la main sur l'épaule du Gendarme, et le gendarme qui se lisse la moustache. Et le Bœuf et l'Âne qui se sont endormis, brisés par l'émotion. Et personne ne dit plus rien. Et ils ne bougeront plus jusqu'à la fin des siècles. C'est le destin des santons. Roustido ne sait pas encore quelle attitude prendre. Alors la Sainte Vierge a désigné la malle de cuir pleine de pièces d'or et elle a dit au Tambourinaire :
- Vincent, prends ce qu'il te faut pour te monter un ménage. Maintenant, tu vas pouvoir épouser Mireille.
Alors Roustido a compris qu'il devait faire un geste avant d'être transformé en santon pour toujours. Il a pris la main de Mireille, il l'a mise dans la main de Vincent et il a dit :
- Tiens, prends ma fille, tu es pauvre, mais ça m'est égal. Je te la donne quand même.
Et il s'est immobilisé pour toujours, tenant la main de ses enfants serrée dans la sienne; il venait de gagner le paradis sans le faire exprès.
Et voilà, j'ai dit tout ce que j'avais à vous dire. Excusez-moi si j'ai été un peu bavard : c'est dans mon tempérament, mais je vous jure que j'ai dit la franche vérité. Allez, adieu, adieu ... Je remonte au ciel. Portez-vous bien ... Soyez braves ... Soyez heureux ...
Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
(texte intégral / Tous les contes de ma Provence / Yvan Audouard / collection Bouquins Robert Laffont)
LA LÉGENDE DU PREMIER ARBRE DE NOËL
Jadis des arbres croissaient dans Bethléem et tout autour du village, des lauriers-roses, des amandiers, des cognassiers dans les jardins, de la vigne et des oliviers sur les collines en terrasse, et aussi des chênes, des mûriers, des figuiers et des citronniers. Ces arbres n'étaient pas ramassés en groupes ou en bosquets touffus ; ils ne cachaient pas les rochers arides ; à travers leurs branches et leurs feuilles on apercevait la ligne lointaine des montagnes et l'immensité du ciel. Ils jetaient une parure sur l'âpreté de la terre et grâce à leurs fruits les gens de Bethléem ne mouraient pas de faim.
Le grand vieux sapin là-haut sur la colline, près du parc aux moutons, les surveillait tandis que le printemps se changeait en été et l'été en automne. Il était heureux de voir la floraison se détacher sur le ciel comme une écume blanche et rose, de voir apparaître les pousses vert tendre des mûriers et s'argenter les oliviers. Il agitait joyeusement ses branches quand surgissaient les citrons, petits soleils d'or pâle, les lourdes grappes de la vigne, les mûres et les figues qui nourriraient, désaltéreraient son peuple.
Pour lui les habitants des collines étaient son peuple : il les aimait. De mémoire d'homme, il avait toujours été là, les dominant. Il savait tout d'eux, car les gens de Bethléem aimaient à s'asseoir sous ses branches. Ils parlaient et le sapin les écoutait, retenait leurs propos. Quand ils étaient tristes, ils se jetaient à son pied et il entendait leurs lamentations. Il entendait aussi les bergers bavarder en gardant leurs moutons. Il ne connaissait pas seulement leurs joies ou leurs tristesses personnelles mais aussi l'histoire du pays. Il écoutait les vieillards pleurer la gloire passée d'Israël. Quelquefois, le jour du Sabbat, les lettrés répétaient les saintes prophéties et s'entretenaient à voix basse du Messie, de Celui qui doit venir, le Magnifique, le Sage, le Prince de la Paix. Quelquefois les jeunes bergers chantaient les psaumes du berger David, et la beauté des mots, la douceur des sons apaisaient l'inquiète mélancolie du vieil arbre.
Car le vieil arbre souffrait de se voir inutile au peuple qu'il aimait. Les autres arbres étaient si généreux... lui n'avait ni fleurs ni fruits, rien que ses pommes de pin. Parfois il les faisait tomber auprès des gens dans l'espoir qu'ils les ramasseraient, mais ils en prenaient rarement la peine. Il n'était même pas beau, un vieil arbre déformé par les tempêtes. Autant qu'il pouvait en juger, il ne servait à personne, sauf aux moutons qui aimaient.se frotter contre son écorce... Et peut-être, très rarement, à ceux qui s'asseyaient entre ses racines noueuses. Il leur parlait alors, leur ouvrant le trésor de la sagesse des arbres.
Mais écoutaient-ils ? Ils demeuraient immobiles, appuyés contre son tronc, les yeux à moitié fermés pour se protéger du soleil ou penchés en avant, les coudes sur les genoux et le menton dans leurs mains, regardant l'horizon bleu, et le vieux sapin leur racontait de merveilleuses histoires. L'entendaient-ils ? Ils n'en témoignaient rien. Pourtant il continuait, sans se décourager, les berçant entre ses racines comme une mère berce son enfant. Les arbres sont sages, plus sages qu'un homme ne le sera jamais, et les sapins sont les plus sages de tous les arbres. Ce sapin-là possédait la science du bien et du mal, fruit de son expérience, héritage surtout de ses ancêtres, du premier sapin, un arbre particulièrement sage qui avait grandi dans le premier jardin du monde, celui que le Seigneur avait planté au pays d'Eden et qui était si beau.
Ce premier sapin ne ressemblait pas à son descendant, car il était le plus bel arbre du jardin. Ses fleurs étaient plus pures que celles de l'amandier, ses feuilles, d'argent comme celles de l'olivier, avaient la forme de mains jointes et l'or de ses fruits surpassait celui des citrons. Sans doute le roi Salomon pensait-il à la sagesse et à la beauté de ce premier sapin lorsqu'il dit qu'un mot prononcé à bon escient étincelle comme une pomme d'or dans un cadre d'argent.
Le Seigneur avait défendu à l'homme et à la femme qui vivaient dans le jardin de manger de ces pommes d'or parce qu'ils n'étaient pas prêts à comprendre la sagesse. Le sapin le savait et chaque fois qu'ils venaient près de lui, il cachait ses fruits d'or sous ses feuilles d'argent, pour que les fragiles créatures mortelles ne fussent pas tentées. Ils s'installaient entre ses racines et il leur parlait d'une voix légère et douce. Puisqu'ils étaient des hommes et non des dieux, ils ne pouvaient connaître le mal qu'en le commettant, aussi devaient-ils l'ignorer et chercher seulement le bien. « Aimez Dieu, soyez des enfants obéissants et satisfaits et tout sera facile. » Mais ils n'écoutaient pas le sapin. Ils aspiraient à être des dieux arrogants, à commander au monde créé, et ils mangèrent du fruit défendu.
Ce n'était pas du tout la faute du sapin, mais il le crut. Il fut si affecté que son cœur se brisa et que la sève de son tronc sécha. Ses fruits d'or se fanèrent, devinrent de dures et brunes pommes de pin ; ses feuilles argentées se roulèrent en minces et sèches aiguilles. Il mourut de chagrin là, dans le jardin, et ses pommes tombèrent sur le sol... Les oiseaux et les vents emportèrent la graine, ses enfants prirent racine et s'élevèrent à travers tout le vaste monde.
Ils n'étaient plus beaux comme l'avait été leur aïeul. Ils croissaient sur des collines dénudées, tourmentés par les vents et les orages, connaissant les péchés du monde, sans fleurs, sans feuilles, sans fruits. Ils conservaient pourtant leur profonde et céleste sagesse et quand des hommes, des femmes et des enfants se réunissaient autour d'eux, ils leur apprenaient ce qu'ils savaient. Ces descendants d'Adam et d'Eve ne prêtaient pas plus attention que ne l'avaient fait Adam et Eve, mais ils portaient un amour particulier aux sapins et croyaient dans presque tous les pays qu'il était de bon augure d'en avoir un près de la maison... Le sapin est un arbre réconfortant, il ne succombe pas à l'orage, il ne change pas avec les saisons. Il n'y a en lui nulle inconstance.
Tous à Bethléem pensaient ainsi et tous aimaient leur sapin sur la colline. Le vieil arbre ne le savait pas. Il ne devinait pas non plus que si, dans les jours de malheur, ils montaient jusqu'à lui et se blottissaient entre ses racines, c'est parce qu'ils devinaient inconsciemment qu'il partageait leur peine et trouvaient auprès de lui un réconfort et une protection.
Que les hommes l'aient compris ou non, ils aspiraient à un Dieu éternel, qui ne changerait pas et pourtant partagerait leur vie brève. Le sapin le souhaitait aussi avec une ardeur plus vive chaque année. L'amour et l'obéissance refusés dans le jardin d'Eden, peut-être les hommes les donneraient-ils à un tel Dieu ? Peut-être l'imi-teraient-ils, puisque ces ridicules créatures humaines voulaient toujours imiter Dieu, et ne se perdraient-ils pas comme ils l'avaient fait jadis dans le jardin, peut-être sauveraient-ils leurs âmes ? Si cela arrivait, le sapin sentait que ses aiguilles raidies redeviendraient des feuilles d'argent et ses fruits durs et bruns des fruits d'or. «Le désert se réjouira et fleurira comme le rosier», avait-il entendu les sages répéter, tandis qu'ils étaient appuyés à son tronc et parlaient de la venue du Sauveur.
* * *
C'était le milieu de l'hiver, le ciel sans nuage étincelait de ces étoiles angéliques dont certains hommes assurent qu'elles chantent. Mais elles étaient trop loin pour qu'on les entendît. La terre était silencieuse, tandis que la moitié de la nuit s'était écoulée. Les yeux des bergers se fermaient et le sapin gardait leurs moutons. Il le faisait souvent, les éveillant d'un murmure si quelque danger menaçait. Mais ce soir-là rien ne menaçait ; la terre était vide de mal comme le ciel de nuages, et une profonde sérénité envahit le sapin depuis l'aiguille de sa cime jusqu'à la plus profonde de ses racines. Un immense amour le saisit pour les étoiles brillant comme des anges dans le ciel, pour les hommes fatigués et les animaux endormis. Il aurait voulu les réunir, étendre ses branches jusqu'au ciel, attirer les étoiles vers la terre.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre. » D'où venaient ces voix ? Le sapin regarda à son pied, là où Reuben, le petit berger qui chantait si bien les psaumes de David au son de son pipeau, dormait comme un loir... Mais Reuben était profondément assoupi. En outre ce n'était pas une voix mais des milliers de voix, et elles retentissaient dans le lointain. La musique approcha, montant et descendant, reprenant plus fort, comme le fait une grande tempête. Pourtant nul souffle ne caressait la terre et il n'y avait pas de vent qui pût créer des sons d'une telle beauté, d'une beauté qui ébranlait le sapin de la cime au pied et l'apaisait aussi.
« Lève-toi et brille, car la lumière est venue et la gloire de Dieu est sur toi. » Les étoiles chantaient et approchaient de la terre. Le sapin tout frémissant se tendit vers elles ; le chant le submergea en vagues sonores, il fut ébloui, noyé de lumière, aveuglé, assourdi... Un instant il crut qu'il était foudroyé.
Quand il revint à lui, tout était calme et silencieux de nouveau. Les étoiles avaient regagné le ciel et les bergers étaient partis.
Mais le sapin savait où ils étaient allés, car les étoiles lui avaient appris la bonne nouvelle... Ils étaient partis, et très vite, emportant leurs présents... Ils étaient tous partis, tous sauf le petit Reuben. Qu'avait donc l'enfant ?
Le sapin regarda Reuben et Reuben regarda le sapin, les yeux agrandis d'admiration, les joues empourprées et la bouche ouverte, trépignant et sifflotant comme le font les petits garçons quand ils sont excités par un spectacle extraordinaire. L'enfant paraissait éclairé par mille bougies et pendant une minute ou deux le sapin ne comprit pas d'où venait cette lueur. Il vit alors qu'elle émanait de lui. Les étoiles, en partant, n'avaient pas emporté toute leur lumière. Chacune des aiguilles flétries était devenue une feuille d'argent, chacune des pommes sèches et dures un fruit d'or. Le sapin était inondé de lumière, tel un jeune dieu à l'aube du monde.
« Prends ma branche, cria-t-il à Reuben, prends ma branche. » L'enfant comprendrait-il ? Les autres ne comprenaient jamais quand il leur parlait. Mais Reuben comprit ; il était encore assez jeune pour le faire. Il tendit la main, cassa la branche brillante que le sapin tendait et descendit la colline, courant vers Bethléem. Il courut si vite qu'il rattrapa les autres bergers et, lorsqu'ils présentèrent leurs dons, il s'agenouilla et présenta le sien. Il le planta dans une cruche près de la crèche, tout droit, lumineux et brillant et quand l'Enfant le vit, Il rit... Ce fut le premier arbre de Noël.
Le matin suivant, le sapin avait retrouvé son aspect accoutumé, mais il ne se sentait plus le même, parce que le Seigneur avait visité son peuple. Il tendit ses branches vers le clair ciel bleu et cria : « Un jour saint est arrivé, venez, Nations, et adorez le Seigneur. »
Dans ce cri se glissait un remerciement, car le sapin connaissait maintenant l'avenir de ses enfants et de leurs descendants. Ils continueraient de s'élever sur les collines, durs, secs et stériles pendant le printemps, l'été et l'automne, alors que les autres arbres porteraient des fleurs, des feuilles et des fruits, mais lorsque reviendrait décembre avec l'anniversaire de la naissance de Jésus, lorsque les autres arbres seraient dépouillés et nus, eux garderaient la crèche, habillés d'argent et d'or, apportant la joie au cœur des petits enfants et la paix aux hommes de bonne volonté.
ELIZABETH GOUDGE.
Traduit de l'anglais par Françoise de. Bernardy.
Connaissez vous cette belle histoire ?
Un soir d'octobre 1891 (Mistral a 60 ans), notre Poète Provençal rentre
chez lui ! Sur la route un petit chien au poil noir et court surgit, lui fait la fête, puis fait un numéro de cirque : triples sauts périlleux, double salto..... ! Mistral le chasse avec son baton puis continue sa route ! Mais le chien
le suit jusqu'à son mas ! La femme de Mistral et la servante donnent à manger au chien ! Le lendemain, Mistral voit le chien devant la porte. Il fait à nouveau son cirque ! Bref ! Mistral finit par l'adopter ! Il l'appelle "Pan-Perdu"
et une belle, très belle amitié née entre les deux ! Partout où va Mistral, le chien le suit !
Un jour, Mistral dit au chien "mon chien, tu commences à te faire vieux ! Il faudrait
songer à ta descendance" ! Le chien s'en va et revient 10 minutes plus tard avec une chienne et des chiots ! Il avait déjà pensé à sa descendance ! Mais Mistral s'est longtemps demandé si le chien ne l'avait pas compris.
Mistral adopte un des chiots qu'il appellera "Pan-Panet" ! Puis il adoptera un des fils de Pan-Panet qu'il appellera "Jean Toutouro" !
Quelques années avant sa mort, Mistral
a tracé les plans de son tombeau-mausolée ! Outre, de beaux visages de Provençales et l'étoile félibréenne, le Poète a exigé qu'un sculpteur grave sur la pierre l'effigie de Pan-Perdu !
Mais écoutez le plus surprenant ! L'auteur qui relate cette histoire (en 1995) raconte qu'il se trouve aux Etats-Unis dans la ville de Buffalo Bill ! Il visite le musée du célèbre chasseur ! Et là, il constate
que Buffalo Bill et Mistral se ressemblent trait pour trait ! L'auteur, Pierre Roumel, se pose des questions sur ce chien de cirque, Pan Perdu ! Il fait des recherches en Provence et apprend que Buffalo Bill est venu en Provence en 1889 avec un cirque !
Le marquis Folco de Baroncelli, invite Buffalo Bill dans sa manade après sa tournée ! Et là, Buffalo Bill, lui dit qu'il a perdu son chien de cirque à Tarascon !
Pan Perdu a parcouru des kms à travers champs, sur les routes pour s'attacher au sosie de son maître perdu !
LA LÉGENDE DE LA FORÊT DE CÈDRES
Gérard SACCOCCINI
Voici une belle histoire du temps jadis, quand le chêne-liège, l’arbre de Judée, le pistachier,
le jujubier et le myrte n’avaient pas encore été ramenés de l’Orient lointain et introduits chez nous.
A l’orée d’une ancienne forêt
sacrée des Gaulois, au pays des sorgues et au pied des Monts de Vaucluse, une vieille chapelle avait été érigée en des temps très anciens. Elle avait sans doute abrité un vieil ermite chenu qui était
mort depuis longtemps et ses murs moussus soutenaient encore tant bien que mal une charpente vermoulue couverte par un toit délabré aux mille brèches ouvertes sur les étoiles. Les bergers ne venaient plus s’y abriter lorsqu’il
pleuvait très fort car si l’on ne voulait pas être trempé comme une soupe mieux valait rester dehors, sur le seuil !
Une niche de pierres sur le pignon abritait une petite cloche qui, depuis fort longtemps, ne rythmait plus les heures du village abandonné. Mais une fois par an, mue par on ne sait qui, dans le grand silence de la nuit d’hiver, elle s’animait soudain et se mettait à carillonner joyeusement l’appel de minuit pour la Fête de la Nativité.
Alors la forêt s’éveillait, la montagne s’animait et mille feux follets dansaient sous
les arbres, suivant les boucles improbables des sentes serpentines. C’étaient les lumignons des paysans qui, par familles entières, hommes et femmes, enfants et vieillards, à l’appel de la petite cloche convergeaient en longs
rubans lumineux vers la chapelle à l’orée de la forêt.
Au pied du mur sud, peut-être déposée par un oiseau facétieux ou par un caprice du vent, une petite graine avait germé, donnant naissance à un cèdre minuscule, frêle et solitaire, protégé du mistral et réchauffé par la chaleur des pierres caressées par les rayons du soleil.
Il croissait lentement, avec toute la force souveraine et la puissance tranquille de ces arbres sacrés qui gagnent seulement quelques centimètres par an. Il
avait tout son temps, pensez donc : les cèdres vivent 3 000 ans !
Symbole de pureté, de puissance et de majesté, le cèdre était nommé et vénéré
dans l’écrit le plus ancien du Monde retrouvé à Ourouk, la cité des Sumériens. D’ailleurs, au Liban, on dit que c’est au cœur de la forêt de cèdres de Bécharré
(et non au mont Thabor) qu’eut lieu la Transfiguration du Christ, fêtée le 6 août par les Chrétiens.
Dans sa niche auréolée de la lumière
des étoiles, la petite cloche sonnait à toute volée, égrenant sa musique aigrelette. Une pluie de notes envahissait la nuit et ruisselait en cascades légères dont les ondes faisaient vibrer les fines aiguilles du petit
cèdre comme les cordes d’une harpe. Conduits par le bayle* venaient les bergers avec leurs agneaux, qui entraient avant tout le monde parce qu’ils avaient été les premiers à recevoir le message de la Nativité,
et la foule suivait pour entendre la messe de minuit et chanter avec ferveur « Il est né le Divin Enfant ».
L’office terminé, chacun se hâtait
vers la chaleur du foyer où, avant de se rendre à la messe on avait « fait maigre » avec lou Gros Soupa*, et où attendaient les treize desserts que l’on consommait au retour avec le vin cuit. Mais il
y avait toujours quelques affamés pour qui on avait apprêté la petite oie*, c’est-à-dire un plat préparé avec le cou, les pattes, les abats et les bouts d’aile de la volaille qui serait servie le
25 décembre à midi. On ne connaissait pas la dinde qui n’était pas encore arrivée du Nouveau Monde.
Pendant ce temps, dans l’âtre, se
consumerait sans interruption jusqu’à l’arrivée de l’An Neuf le cepoun* après la cérémonie ancestrale du cacho fuec*.
Ensuite,
chacun allait se coucher et le silence retombait alors sur la forêt. Le petit cèdre encore tout tremblant était triste car il savait que sa petite amie la cloche s’était tue pour un an et qu’il n’entendrait plus
sa voix jusqu’au prochain Noël.
Il rêvait de pouvoir un jour l’apercevoir et, pourquoi-pas (mais quelle audace !), caresser doucement sa jupe de bronze du bout
de ses branches. Et il se hissait de toutes ses forces, il lançait sa ramure vers le ciel et il tirait sur son pied pour grandir plus vite. Mais on sait bien que la croissance des cèdres est très lente et il lui fallut des années,
des siècles et même plusieurs siècles, pour qu’enfin, par une belle et froide nuit de décembre, il puisse apercevoir par la fenêtre du clocher sa petite amie qui « dansait Noël » dans une joyeuse envolée.
Alors, tout ému et rempli de joie, il osa avancer le bout d’une branche et caressa enfin la jupe virevoltante de la petite cloche qui s’en donnait à cœur
joie, faisant jaillir dans l’éther une pluie de notes légères. Quel bonheur, ils étaient enfin réunis !
Les siècles s’égrenèrent. Le petit cèdre était maintenant un arbre gigantesque dont la ramure ondoyante cachait la petite chapelle. Il était devenu le roi
de la forêt et sa cime orgueilleuse dépassait celle des plus grands arbres, tutoyant les rayons du soleil.
En parlant de soleil, nous étions au siècle où
un grand roi s’était affublé de ce qualificatif et sous son règne « éclairé », un grand ministre appelé Colbert avait créé la marine marchande pour commercer avec les Échelles
du Levant. Il avait fait creuser, en pays breton, un port en eau profonde appelé « port de l’Orient », devenu tout simplement Lorient !
Un jour d’Octobre,
des hommes portant la livrée de l’Intendant Général de Provence entrèrent dans la forêt. Ils avaient de curieux marteaux avec lesquels ils imprimaient une marque sur le tronc des arbres, choisis parmi les plus beaux.
On peut imaginer leur surprise et leur joie lorsqu’ils découvrirent le cèdre géant. Il faut préciser que, pour protéger les bateaux marchands, une formidable entreprise de construction de navires de guerre était
amorcée, dévorant les forêts du royaume.
Quelques jours après, à lune morte, les bûcherons étaient à l’œuvre. Le grand cèdre s’abattit dans un fracas épouvantable, brisant dans sa chute les buissons et arbrisseaux voisins. Ébranché, écorcé, réduit à l’état de fût, il fut acheminé vers les arsenaux du roi pour devenir le mât principal d’un vaisseau de haut bord, fleuron de la « Royale » (curieusement, ce nom est resté attaché à la marine de la République).
Pendant des mois, le puissant vaisseau de ligne navigua en méditerranée. Pensez à la fierté de notre cèdre qui dominait les gréements de tous les autres bateaux.
Par une froide nuit d’hiver, veille de la Nativité, il relâchait dans le port d’Haïfa et tous les marins étaient descendus à terre pour fêter Noël. Sur le pont
déserté se profilait l’ombre du géant solitaire. Il était triste et il pensait à sa petite amie la cloche de la chapelle des Monts de Vaucluse. Était-elle encore là ? Sonnait-elle encore pour annoncer
la venue de l’Enfant-roi ?
La nuit était d’un noir d’encre, comme les eaux du port. Tout à coup, une cloche tinta, reproduisant les mêmes notes
que sa petite amie. Puis une autre lui répondit, puis une autre, puis des dizaines de carillons joyeux ! Sur les pentes du Mont Carmel, des myriades de lumières apparurent, serpentant sur les chemins, convergeant vers les églises illuminées.
Et le cèdre pensait encore plus fort au pays où il était né. Et il était encore plus triste.
Au matin, lorsque les marins regagnaient le bord, ils s’arrêtèrent médusés sur le quai. Une chose incroyable était arrivée dans la nuit : à la place du mat principal du navire un cèdre
gigantesque avait développé une immense ramure. Des branches géantes couvraient les vergues, les voiles carguées et les échelles de corde. De fines aiguilles vert sombre couvraient tout le gréement et des racines couraient
jusqu’à l’étambot. Que faire ?
Le vaisseau fut remorqué jusqu’aux arsenaux du roi. On retira
le grand mât de son pied de quille puis on le coucha à terre. On ramena ses branches et on les lia pour pouvoir le transporter jusqu’à la petite chapelle où il était né.
Fiché en terre, il retrouva sa petite amie la cloche et, toutes les veilles de Noël, il put de nouveau l’encourager de ses caresses. Tous les étés, des milliers de petites gaines
s’envolèrent de ses cônes bien mûrs et, portées par le vent ou par le caprice des oiseaux, elles s’en allèrent donner naissance à des centaines de petits arbustes qui constituèrent une immense forêt.
Voilà comment naquit la forêt de cèdres en pays des Monts de Vaucluse.
Ce récit est inspiré d’une histoire de mon ami Jean Claude Rey, dit « Papet », merveilleux conteur du Luberon. Parlant de lui, Yvan Audouard avait dit que les recueils de ses contes auraient dû être remboursés par la Sécurité Sociale pour tout le bonheur qu’ils apportaient aux lecteurs. Papet nous a quittés en 2007. J’espère lui avoir été fidèle.
Bayle* - Chef d’une équipe de bergers à qui les propriétaires confiaient en commun leurs troupeaux de moutons.
Gros Soupa* - Repas maigre traditionnel pris avant la messe de minuit, les 13 desserts étant consommés au retour.
La petite oie* - Collation servie au retour de la messe, apprêtée avec les parures de l’oie du repas du lendemain.
Cepoun* - Souche d’arbre, généralement un fruitier, que l’on mettait au feu au cours du cérémonial du cacho fuec* et qui devait se consumer jusqu’au Jour de l’An.
Cacho fuec (ou cacho fio) – Littéralement mettre le feu. Ancienne cérémonie païenne célébrant le solstice d’hiver. Christianisée, elle accompagnait la fête de la Nativité par le rituel des libations arrosant le cépoun, sa bénédiction et son transport dans l’âtre, accompagné de la phrase rituelle « Cacho-fio, Bouto-fio,Alègre, alègre, Dièu nous alègre, Calèndo ven, tout bèn vèn, Dièu nous fague la gràci di veire l’an que vèn, E se noun sian pas mai que noun fuguen pas mens. »
En Français : Bûche de Noël, Donne le feu, Réjouissons-nous, réjouissons-nous, Dieu nous donne la joie, Noël vient, tout vient bien, Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient, Et si nous ne sommes pas plus (nombreux), Que nous ne soyons pas moins !
TITI LE BOUVREUIL
Gérard Saccoccini
Cette histoire est une histoire vraie.
Elle est arrivée pendant cet hiver déconcertant de froidure et de pluie qui s’était abattu sur notre village.
Un hiver déconcertant parce que de longues périodes de pluie étaient entrecoupées d’accalmies et d’une succession de hausses et de chutes brutales de température.
Un hiver déconcertant parce que la neige a soudain étendu son épais manteau de froidure et, pour les oiseaux surpris dans ce silence feutré, il n’y eut plus le moindre vermisseau, pas le moindre insecte à se mettre sous le bec. Toute la gent ailée, désorientée par cette inquiétante pénurie, sautillait de part et d’autre à la recherche d’une improbable pitance.
Un couple de bouvreuils s’était enhardi à venir jusqu’au seuil de notre maison, devant la baie vitrée donnant sur le jardin pour quémander quelques graines et quelques miettes de pain dont nous ne fûmes pas avares. Gourmands et insatiables, ils attendaient les petits morceaux de lards que nous accrochions sous des abris de fortunes pour les préserver des entreprises d’une armée de pies voraces et jacassantes. Le restaurant était bon car tous les matins, en ouvrant les volets, ils apparaissaient aussitôt qu’un peu de lumière perçait le ciel plombé.
Lorsque les frimas se dissipèrent et que réapparurent les rayons du soleil, ils continuèrent à fréquenter le parvis de la baie vitrée, ébouriffés et batailleurs, jouant sur l’escalier par petits bonds rapides et saccadés.
Puis vint le moment de cette perception indéfinissable et tenace qui annonce le renouveau ; les bruits ténus et les odeurs du printemps imminent avec le parfum du vent lavé par la pluie, les senteurs d’écorce mouillée, la vie qui s’éveille, la déchirure du bourgeon éclaté et le froissement des feuilles qui se déroulent.
Ce fut aussi le temps du grand nettoyage de printemps : fenêtres et baies vitrées consciencieusement lavées reflétaient le ciel et laissaient courir les nuages comme les laissent traverser les plans d’eau lisses et sans une ride des petits matins calmes.
Un jour où j’étais assis derrière la fenêtre, je perçus soudain un bruit mat, celui d’un fruit mûr qui tombe et s’écrase. Un des deux bouvreuils facétieux, trompé par les reflets du ciel, venait de percuter la baie vitrée. Il gisait inanimé au sol, agité de petits soubresauts sporadiques, sous le regard de son compagnon de jeux à la houppette de plumes hérissée, comme s’il fronçait les sourcils, incrédule.
Une perle de sang rouge comme une graine de grenade maculait son jabot. Un peu de duvet dans son bec me fit penser qu’il avait violemment heurté en vol le vitrage et qu’il s’était blessé avec son bec.
Nous l’avons recueilli, presque sans espoir, et déposé dans une boîte à chaussures tapissée d’ouate avec un petit peu de pain mouillé. Quelques heures plus tard il était revenu à lui et nous avons décidé de la garder toute la nuit à l’abri.
Nous l’avons appelé Titi le Bouvreuil !
Au petit matin, nous avons déposé la boîte sur l’appui de fenêtre et ôté le couvercle. Il lui a fallu beaucoup de temps pour réaliser puis, soudain, il s’est envolé vers le feuillage propice d’un lilas.
Nous étions heureux de cette fin heureuse qui nous avait permis de préserver la vie de cette petite boule de plumes tiède et palpitante.
Mais la fin de ce récit est incroyable et encore plus heureuse.
Le lendemain matin, Titi était là, devant la baie vitrée, attendant sans doute son « pain quotidien » mais j’aime penser qu’il était venu nous remercier.
C’était bien lui, j’en suis sûr parce que sur son jabot il y avait une petite perle de sang séché !
L’INTERDIT DE TOURRETTES
Un fait divers de l’automne 1677.
UNE VISITE PASTORALE QUI TOURNE MAL
OU LES OUTRANCES DE PIERRE DE VILLENEUVE, L’INTRAITABLE BARON DE TOURRETTES
Nouvellement nommé évêque de Fréjus, Monseigneur Benoît de Clermont-Tonnerre voulut mettre fin à quelques divergences observées dans l’office de quelques saints honorés dans les églises du pays.
Par le synode de janvier 1677, il nomma une commission chargée de préparer le « Propre des saints du diocèse », document qui fut publié et rendu obligatoire l’année suivante, le 11 mai 1678.
Or en ce temps, le farouche baron Pierre de Villeneuve lui avait adressé une lettre, demandant la mutation de l’abbé Ordain, vicaire de Tourrettes, auquel l’opposait un conflit. L’évêque se trouva placé face à un véritable dilemme car l’abbé appartenait à une famille très respectable et jouissait d’une réputation irréprochable.
Le 22 Octobre de l’an de grâce 1677, pour en avoir le cœur net, il décida d’effectuer une visite pastorale à Tourrettes, depuis sa résidence de Fayence : une église bien tenue serait la preuve d’un desservant fidèle et sérieux ! On s’agite, on court prévenir le baron, le bailli et toutes les personnalités concernées. Les hommes reviennent des champs ; les femmes redressent leurs coiffes ; on débarbouille vite fait les petits car une telle visite dans un village reculé est prétexte à une vraie fête (et au sacrifice du cochon) !
Mais l’ombrageux seigneur Pierre de Villeneuve « homme violent et superbe », défendit à toute personne, on ne sait pour quelle raison, de se porter au-devant du prélat.
L’évêque était entré avec sa suite dans l’église, édifice pauvre mais relativement bien tenu, et en faisait l’inspection, surpris qu’aucun notable, aucun villageois ne l’ait suivi dans le sanctuaire.
Au moment de franchir le seuil de l’église pour sortir, il se trouva face une foule hostile menée par le baron lui-même, son bailli et les consuls qui le poursuivirent de leurs injures jusque sur la place publique. Le père Girardin du couvent de Saint-Tropez assura même qu’ils allèrent jusqu’à le souffleter.
« Le doux et extrêmement bon prélat », ainsi que le décrit le chanoine Antelmy, partagé entre sainte colère et humiliation, sut contenir son indignation et s’en retourna à Fréjus, bien décidé à punir les coupables de l’outrage à sa fonction sacrée. Mais il était évêque et devait pardonner… Voulant laisser aux coupables le temps de se repentir, il attendit cinq semaines une quelconque résiliation ! Que nenni, rien ne put fléchir l’intraitable baron dont l’indigne conduite est restée inexpliquée. Le Chevalier de Clermont, frère de l’évêque alla même jusqu’à le provoquer en duel, mais l’affaire n’eut pas de suite.
Un avis de Clermont Tonnerre fut lu au prône et affiché aux portes de l’église stipulant que si, sous six jours, le baron, son bailli et les consuls ne se rendaient pas à Fréjus implorer leur pardon, la paroisse de Tourrettes toute entière serait frappée d’interdit. En carence d’exécution, l’interdit fut prononcé le 7 Décembre 1677. Personne, de mémoire d’homme, n’avait vu cela au pays : on n’y prêta pas attention…
Des hommes en noir fermèrent l’église. Ils vidèrent le tabernacle, emportèrent les huiles des malades, le ciboire et le calice : tout ce qui est indispensable au culte. Les portes furent scellées.
Le crieur du village parcourt les ruelles pour informer les « manans et habitants de Torete » qu’ils étaient désormais exclus de l’Eglise, privés de sacrements et de toutes cérémonies religieuses.
La cloche de l’église ne sonna plus. On n’y fit pas trop attention, car le clocher de l’église de Fayence continuait de rythmer les heures. Mais, plus de mariages, plus d’enterrements, plus de messe de minuit. Dans les villages voisins, on n’adressait plus la parole aux gens de Tourrettes et plus aucun commerçant ambulant ne s’arrêtait dans leur village. L’interdit c’est comme la lèpre, comme la peste : les morts étaient enterrés presque à la sauvette ! Les Tourrettans comprirent leur malheur. Ils auraient bien voulu se rendre à Fréjus supplier l’évêque mais, terrorisés par le tyrannique baron, ils s’arrangèrent pour que l’évêque soit discrètement informé de l’intention et, le 2 mars 1678, l’interdit sur le village fut levé.
Les hommes en noir revinrent pour ôter les scellés, rapporter les saintes huiles et rendre à l’église son âme et la paix aux habitants.
En fait cette mansuétude ne valait pas pour le baron Pierre de Villeneuve qui, entre temps, avait tenté de faire intervenir auprès du roi quelques bonnes relations à la cour de Versailles. Louis XIV, courroucé, ordonna la médiation de l’évêque de Marseille car Monseigneur de Clermont-Tonnerre, exigeait une totale résiliation.
Enfin une solution fut trouvée par les sages du Parlement de Provence qui firent connaître à l’intraitable seigneur que son procès en obtention du Marquisat de Trans, qu’il convoitait, serait fortement compromis par son entêtement. « Paris valut bien une messe », le titre de marquis valait bien un acte de contrition. Pierre de Villeneuve ploya le genou le 3 juin 1678 devant l’évêque de Fréjus, le suppliant à haute voix de lui pardonner son crime. « Je n’attendais que cette démarche », lui répondit Clermont-Tonnerre en le relevant, « pour vous absoudre d’une faute que j’aurais oubliée si l’injure s’était adressée à ma personne et non à ma dignité ». Le baron reçut alors l’absolution canonique. Trois jours plus tard, les gens de Tourrettes vinrent supplier l’évêque de venir visiter leur village.
Clermont-Tonnerre, en proie à une grave maladie de consomption, s’alita peu après. Ses médecins, croyant bien faire, le saignèrent pour le guérir, si fort dit-on, qu’il en mourut dans le mois d’août 1678.
Tourrettes ne reçut donc jamais la visite pastorale souhaitée, mais ce fait divers valut au baron Pierre de Villeneuve d’hériter du titre de « premier marquis de France » qu’avait reçu son aïeul, Louis de Villeneuve, « riche d’honneur », général, chambellan du roi Charles VIII et du roi François 1er, capitaine de la ville de Sisteron et capitaine général de la Marine de Provence. Le marquisat avait été créé par Lettres patentes du roi Louis XII, en 1506.
Sources :
Sourires du Haut-Var - Marijo Chiché-Aubrun : selon une publication « Chroniques de nos villages d’antan » - 1976
Archives capucines du couvent de Saint Tropez : lettre du P. Girardin à son provincial.
Archives départementales : Ins. Eccl. – Girardin ; II, p.259-260
Pour l’origine du marquisat de Trans : Lettres patentes royales données à Blois en février 1506, enregistrées au Parlement le 31 janvier 1512, érigeant la terre de Trans en premier marquisat de France, incluant, outre la terre de Trans, celles ci-après désignées :
les Arcs, la Motte, Esclans, Vidauban, Ampus, Montferrat, Rouet, Pibresson, Séranon, Châteaudouble, Lagneros, Villehaute, Taradeau, la Garde-lez-Draguignan, Espérel, Brunet, Peiresc, la Colle Saint Michel, Callas, Tourtour et Villecroze.
Le nom de Trans vient de sa position « par-delà de la rivière », au cœur d’un domaine baronnial concédé en octobre 1200 à Géraud 1er de Villeneuve, par le comte de Provence Ildefonse II, en reconnaissance « pour les bons et loyaux services que Géraud avait fait tant au roi d’Aragon, son père, qu’à lui, en plusieurs diverses et importantes occasions de paix et de guerre et le beau et honorable train qu’il avait toujours tenu auprès de leurs personnes, avec beaucoup de prudence et de sagesse ».
Document réalisé grâce aux recherches effectuées par Elizabeth Duriez, Jacques Mireur et Gérard Saccoccini.
A.T.H. Tourrettes Héritage
La controverse du drapeau provençal
Élizabeth DURIEZ
L’histoire de la Provence est compliquée.
En voici un nouvel exemple
qui concerne l’origine des armoiries et drapeau.
Les armoiries apparaissent en occident dans la première moitié du XIIe siècle, même si des symboles de reconnaissance existaient auparavant.
Pour des raisons à la fois militaires (reconnaître les combattants sur les champs de bataille et de tournoi) et sociales (donner des signes d’identité aux classes supérieures de la société féodale), les armoiries sont des emblèmes de couleurs répondant à des règles strictes.
L’origine du premier écu, « d’or à quatre pals de gueules » en langue héraldique, (jaune avec quatre rayures verticales rouges), serait une légende médiévale évoquée par les Catalans.
Ce blason viendrait du roi de France, Charles le Chauve qui, après une bataille mémorable, aurait rayé de ses doigts le bouclier du premier comte de Barcelone avec le sang
de ses blessures.
Les spécialistes de l’héraldique actuels, dont Michel Pastoureau, contestent largement cette version. Il s’agirait, au contraire, de la bannière des anciens rois d‘Arles. Récupérée par les comtes catalans pour des raisons de légitimité politique lors de leur domination en Provence au XIIe et XIIIe siècles.
Car en 1112, la Provence est remise par mariage aux comtes de Toulouse et aux comtes de Barcelone qui se disputaient la domination de la région. Mais en 1125 un traité clarifie la situation en établissant un marquisat de Provence au Nord de la Durance sous domination toulousaine, et un comté de Provence au Sud, sous l’autorité de la Maison de Barcelone.
Ainsi, pour se démarquer
des comtes de Toulouse, ayant pour emblème la croix occitane (également appelée croix de Toulouse ou croix bosonite), les comtes Catalans choisissent l’écu sang et or à rayures verticales.
Pour corroborer leurs propos, les héraldistes expliquent que le plus ancien sceau portant ces armoiries n’est pas catalan, mais bien provençal et qu’il est conservé aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône.
Le « sang et or » fut employé en Provence jusqu’à Raymond Bérenger V. Son gendre, Charles 1er d’Anjou en usa encore, avant qu’il ne soit abandonné comme insigne dynastique.
Toutefois, cet insigne restera en usage en Provence jusqu’au règne d’Henri IV.
Sous les Bourbons, un nouveau blason apparaîtra. Il est bleu, chargé d’une fleur de lys d’or surmontée d’un lambel, sorte de râteau à trois dents de couleur rouge.
Il faudra attendre la renaissance provençale du XIXe siècle pour voir l’insigne « sang et or » réutilisé comme drapeau afin d’honorer le souvenir de la Provence médiévale indépendante pour s’affranchir de l’insigne angevin considéré comme « trop français » et trop lié à l’idéologie royaliste.
Le « Seneyra », (nom donné au drapeau catalan), se distingue par des rayures horizontales. Quant au drapeau
provençal, il garde les rayures verticales d’origine.
Aujourd’hui les Provençaux disent que les Catalans ont « emprunté » leur
drapeau et les Catalans disent..le contraire ! A chacun son jugement !
sources d'information:
- L'étoffe du Diable/Michel
Pastoureau
- L'héraldique/Michel Pastoureau
- Dictionnaire encyclopédique d'histoire/Michel Mourre
- Histoire de l'Occitane/collectif
La Maison de Village
Élizabeth Duriez
La Provence est parsemée de villages qui portent le témoignage d’une très ancienne organisation
de la société, héritage du Moyen-Age, voire des Romains. Ici l’exemple de la maison traditionnelle.
Dans les villages les maisons se serrent les unes contre
les autres, les ruelles ou venelles se rétrécissent jusqu’à ne plus permettre, parfois, que le passage d’un homme.
Souvent
construite par les futurs propriétaires aidés de compagnons maçons, la maison de village de notre région est édifiée en général de la même façon, c’est-à-dire haute et étroite.
Chaque niveau a une fonction.
En rez-de-chaussée, s’ouvrant sur la rue, la salle commune abrite
la cheminée et son potager où l’on cuisine à la braise. Dans un coin de la grande pièce, on posera la pile, bloc de pierre dure évidé qui contient l’eau nécessaire à
la vaisselle et à la toilette. A côté se trouve l’atelier ou l’étable où vit l’âne ou le mulet qui aide aux travaux des champs. Au fond, dans des espaces très réduits, se tiennent chèvres,
moutons et porcs. Si la maison possède une cave, on y trouve les réserves d’huile, de vin et de farine, à défaut d’être entreposés au rez-de-chaussée.
Un escalier étroit, bâti au plâtre, monte à l’étage et au grenier. La chambre est le plus souvent la seule pièce carrelée de tommettes de terre
cuite aux chaudes couleurs rouge et jaune. Tout en haut, le grenier où l’on entrepose la récolte : foin, fruits, et légumes. Il donne sur le ciel par une large ouverture qui assure la ventilation.
Le toit est couvert de tuiles, à l’origine importées par les Romains ; fabriquées avec l’argile extraite de la terre. Mélange à l’eau, elle forme une pâte que l’on découpe en rectangles réguliers galbés et séchés au soleil avant d’être assemblés les uns aux autres sur les supports de bois.
Cette
manière simple et peu coûteuse de recouvrir le toit s’adapte bien aux formes compliquées des maisons qui tournent souvent avec la rue. Quand la maison ne peut plus être agrandie sur la rue, on creuse de nouvelles pièces
dans la roche. (Quelques Tourrettans en savent quelque chose !)
Pour protéger les murs des pluies d’orage, les plus basses tuiles du toit s’avancent au-dessus de
la rue en génoise, (en remerciement aux Italiens qui inventèrent le procédé).
A l’abri de la génoise, juste au-dessus
de la fenêtre du grenier, on place la carelo, une poulie de fer ou de bois destinée à guider la corde qui hisse les récoltes et les quelques meubles de la maison.
Sur l’unique façade sur rue, fenêtres et portes sont rares, mais toujours bien adaptées à leur fonction, que cela soit le passage, l’éclairage ou la ventilation. Les fenêtres n’ont
pas encore de vitrage, mais sont tendues de toiles enduites de cire ou de vessies de porc qui laissent passer la lumière.
Enfin, devant chaque maison, un petit banc de pierre
ou de bois rappelle qu’aux premiers beaux jours, les Provençaux aiment à vivre dans la rue.
Sur de vieilles photos de Tourrettes datant de la fin du XIXe siècle,
on s’aperçoit que la plupart des maisons sont restées « dans leur jus », c’est-à-dire en pierre apparente. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car recouvertes de crépi, sauf quelques exceptions,
dont un exemple remarquable rue du Rigourier (photo).
La particularité de cette maison réside déjà dans le montage des pierres apparentes de la façade. Toutes les pierres disponibles à portée de main ont été utilisées pour la construction de la maison. Rien ne se perd chez les Anciens !
La façade «rue » comporte deux entrées côte-à-côte, -l’une plus large que l’autre -, ce qui sous-entend un accès autrefois réservé à la remise et à l’écurie. La maison possède également ce fameux petit banc de pierre où les Anciens aimaient tant s’asseoir aux beaux jours.
Une vigne magnifique court le long de cette façade.
Notre Histoire en Provence.
LE FABULEUX DESTIN DES PETITES FILLES D’ARAGON
Il était une fois… (et oui, ceci est un conte, pas une légende) !
Donc, il était une fois quatre gracieuses et belles petites filles, venues au monde dans un pays de lumière, entre Durance, Rhône, Méditerranée et comté de Savoie.
Leur père, Raimon Bérenger, descendant de la maison royale d’Aragon, était le fils du comte de Provence Alphonse II. Il avait beaucoup guerroyé pour préserver son héritage des terres de Provence auxquelles venait d’être rattaché le comté de Forcalquier apporté par sa mère, Gersende de Sabran, dans sa corbeille de mariage.
Triste de n’avoir jamais eu de garçon, il adorait néanmoins ses filles et leur maman, Béatrix, fille du puissant et inquiétant voisin : le comte de Savoie. Les états de ce dernier couvraient les Alpes, comme un manteau jeté sur les deux versants, englobant les terres du Viennois savoyard aux portes de Lyon jusqu’au Sud-Est des terres du Dauphiné.
Nous sommes au 13ème siècle. Tout le pays de l’ouest rhodanien, d’Avignon aux Pyrénées et à Toulouse, est ravagé par la tragédie cathare et les luttes qui opposent occitans (hérétiques ou non) aux envahisseurs venus du Nord, barons germaniques et « Franchimands » de la Croisade des Albigeois.
Les petites filles passent leur temps entre les résidences de Forcalquier, Brignoles et Aix en Provence. Dans ce pays gorgé de soleil où sur le sang de la terre ruisselle l’or des champs de blé, déclinant les couleurs du drapeau de la maison d’Aragon et des seigneuries catalanes, où la violence mauve des lavandes sublime l’éclatante blancheur des falaises et compose la vibrante symphonie des garrigues bleues, les fillettes insouciantes et joyeuses ignorent tout des voies impénétrables que la fée « Destinée », penchée sur leur berceau, a tracé dès leur naissance.
Ce territoire n’a pas d’héritier mâle. Il est l’objet de toutes les convoitises des voisins proches ou éloignés : Anglais, Français, Savoyards et même de l’ « Aigle souabe » : Frédéric de Hohenstaufen, souverain tutélaire, car la suzeraineté du Saint Empire romain germanique s’étend jusqu’au Rhône !
Mais la fée veille et l’homme providentiel n’est pas loin. Appartenant à une noble famille catalane de haut lignage, descendant de Ramon de Vilanova (en français Villeneuve), homme lige du roi d’Aragon Alphonse le Batailleur, cet homme venu de Rome où il s’est longuement entretenu avec le pape est le conseiller du comte Raimon Bérenger. En référence à son pèlerinage dans la ville éternelle on l’appelle Romeu (en français Romée) et il va s’attacher à préserver l’intégrité des Terres de Provence. Pour cela, il déploie toute son énergie, sa clairvoyance visionnaire, et son sens extraordinaire de la diplomatie pour concrétiser un incroyable maillage d’alliances de nature à protéger le domaine comtal par une habile politique de mariages.
Marguerite, l’aînée, épousera Louis IX (Saint-Louis) et deviendra reine de France.
Aliénor, sa cadette, épousera Henri III Plantagenêt et sera « reine consort » d’Angleterre.
Sancie, la troisième, épousera Richard de Cornouailles qui sera élu « roi des Romains ».
Quant à la dernière, Béatrix, elle sera mariée en 1246 au frère de Saint Louis, Charles 1er d’Anjou et deviendra reine de Sicile.
En exhibant une loi catalane qui interdisait à l’époux de briguer l’héritage patrimonial de l’épouse, au motif que la dot apportée par sa famille l’excluait de la succession, l’habile Romée de Villeneuve avait su préserver l’entité territoriale du comté de Provence et de Forcalquier.
Ainsi se réalisa le fabuleux destins des « petites filles d’Aragon », toutes devenues reines !
Issue de Raymond de Villeneuve, gentilhomme de la cour d’Alphonse 1er, la maison de Villeneuve (Provence) se divise en trois branches :
* la branche des barons (puis marquis) de Vence descendant de Romée de Villeneuve,
* la branche des barons de Tourrettes partagée en deux rameaux : Villeneuve-Bargemon et Villeneuve-Esclapon,
* la branche des barons des Arcs, marquis de Trans en 1505 (1er marquisat de France) puis de Flayosc en 1678.
Un conseil de lecture : si vous avez aimé ce conte, le magnifique roman historique de Patrick de Carolis, publié chez Plon, « Les Demoiselles de Provence », vous fera aimer l’histoire, notre histoire.
LE BLASON DE TOURRETTES
Par l’édit royal de 1696, l’héraldique devint source de revenus pour la couronne. Louis XIV imposa l’inscription obligatoire à l’Armorial général de France, moyennant un droit de vingt livres, avec obligation pour toutes les villes d’y figurer. Toutes celles qui tardèrent à s’exécuter se virent octroyer d’office un blason, à cet effet.
La présence de la fleur de lys dans les armoiries d’une ville témoignait de l’appartenance aux « bonnes villes du royaume de France » qui, par leurs actions méritoires, étaient dignes d’être représentées à leurs frais aux sacres des rois, après acquittement du droit de représentation.
La légende des étangs de Tourrettes, ou la malédiction de Pentecôte.
Un proverbe provençal dit : Que celui qui travaille le jour de Pentecôte, toute l’année il lui en coûtera.
Des paysans de Tourrettes avaient travaillé ce « jour maudit », il leur en a coûté leur vie.
Des familles de paysans moissonnaient dans le quartier Chautard, dits « des étangs », le jour de Sainte-Anne. La malédiction s’est abattue sur eux : deux étangs se sont formés et tout le monde a été enseveli, femmes, enfants, animaux de bâts et travailleurs.
La légende dit :
Si vous allez vous promener dans ce quartier, le jour de la Sainte-Anne, le 26 juillet, en passant près des étangs vous entendrez siffler le bruit du fouet des moissonneurs qui encouragent leurs chevaux à tourner à tourner autour du poteau central.
Et si vous tendez bien l’oreille, vous pourriez entendre aussi jurer les charretiers, bavarder les femmes, rire les enfants et pleurer les bébés !